UN PALAIS DANS LES DUNES - ANNIE DEGROOTE.
Un palais dans les dunes d'Annie Degroote
Après le joli carrelage rouge à fleurs du salon, lequel faisait aussi office de chambre à coucher pour les parents - on n'était pas chez les riches-, Laurette s'attaqua à celui de la cuisine. Il fallait racler chaque jour les détritus des fumeurs et chiqueurs ; puis rafraîchir la pièce en la saupoudrant de sable propre, en attendant le grand lavage du samedi. Deux fois par semaine, exempte de pêche à la crevette, elle suppléait sa mère au ménage. Elle ouvrit la porte donnant à l'arrière sur la cour, et fit un signe à Maurice, qui rapiéçait une voile. Tout en s'escrimant à rendre la pièce impeccable, elle s'adressait à son grand-père, dit Ducasse. Sa discussion se résumait à un monologue, le vieil homme ne pouvant lui répondre. Peu lui importait. Elle lui expliquait la merveilleuse proposition de George.
- Etre son caddy, tu te rends compte ?
Cloué dans son fauteuil, Ducasse était ainsi devenu son confident. Une complicité muette s'était créée entre eux. Il ne parlait plus. Il était paralysé d'un côté depuis son attaque. Il arrivait malgré tout à fumer sa pipe, et à tailler, d'une seule main, des canotes avec son canif pour le petit frère. Elle se souvenait des veillées, enfant. Juste après la guerre. Elle était à peine plus âgée que Ch'ti'bout. Grand-Père Ducasse était alors un habile et talentueux violoneux qui animait les fêtes. Le soir, toute la famille se réunissait autour de lui. Avant que ses yeux de petite fille ne se ferment dans le grenier, elle se laissait bercer au son du violon. L'ombre des grandes voiles et des filets séchant au grenier l'effrayait, son grand-père la rassurait. Il jouait si bien. Il jouait pour elle. Elle le devinait. La petite musique du violoneux s'accordait au silence et aux secrets. Et elle rêvait avant de s'endormir. Il lui avait promis d'animer son premier bal. Elle s'imaginait en train de danser au bras d'un prince charmant, très fière d'entendre son grand-père au violon. Cela ne se ferait pas. Cela devait lui manquer à lui aussi, comme devait lui manquer la grand-mère. A sa mort, au cimetière, il s'était effondré. C'était une belle preuve d'amour, triste, mais belle.
Extrait du roman Un palais dans les dunes d'Annie Degroote paru aux Presses de la Cité dans la collection Trésors de France.
Extrait tiré de notre excellent Almanach Des Terres de France 2018 - Presses de la Cité.
Quatrième de couverture :
Les années folles, sur la côte d'Opale. L'ascension d'une fille de pêcheur et le destin maudit du «plus bel hôtel du monde», au Touquet-Paris-Plage, le Royal Picardy.
Deux Nord s'entrecroisent ici : l'un, tranquille et travailleur, au coeur d'un port de pêche ; l'autre, théâtre splendide des plaisirs futiles. A chaque page de ce superbe roman vibre l'attachement profond d'Annie Degroote pour cette terre de caractère.