PETITE MERE - HENRIETTE BERNIER.
Petite mère d'Henriette Bernier
Un dimanche matin ches les Piquart, donc. Le premier coup de la messe venait de sonner. Le curé, qui connaissait ses ouailles, savait qu'il fallait les avertir à l'avance s'il ne voulait pas être dérangé dans son office par les grincements de la porte de l'église poussée par des retardataires.
Rosalie veillait particulièrement à la mise de toute la maisonnée. Le chapeau d'Eugène, son col dur, sa chaîne de montre. La tenue de ses frères, la propreté de leurs bottines, leurs cheveux soigneusement peignés vers l'arrière.
Après les hommes, les filles. La robe d'Alice, qui s'agrafait dans le dos, sa chaîne avec la médaille qu'elle ne trouvait plus, le ruban à nouer dans les cheveux de Marinette, grimpée sur une chaise pour se regarder dans le miroir, accroché près de la pierre à eau, là où tout à l'heure le père et les fils s'étaient rasés avec le grand rasoir, le coupe-chou, dont la lame se dépliait et se repliait. Les bottines hautes, que la mignonne ne savait pas encore bien lacer toute seule.
Et puis elle, enfin, Rosalie. Un col de dentelle sur sa robe de drap gris-bleu, un petit chapeau à la bordure dissymétrique, relevée d'un côté, rabaissée de l'autre, un petit sac à main noir à chaînette et fermeture dorées, un cadeau, un de plus, de la tante Léa.
Elle sortait la dernière, après un regard vers la cuisinière sur le coin de laquelle le lapin achèverait de mijoter tout doucement, sans risque.
Le gâteau, un "tôt-fait", elle l'avait confectionné la veille au soir. Le gâteau du dimanche, ou la tarte, ou là crème, enfin une douceur sucrée pour la fin du repas, Eugène y tenait, pour marquer le coup, disait-il. Car tout au long de la semaine, sur les tables des petites gens, on ignorait le dessert, sauf quand il suffisait de le cueillir à même les arbres fruitiers en saison.
Extrait du roman Petite mère d'Henriette Bernier paru aux Presses de la Cité dans la collection Trésors de France. Extrait tiré de notre excellent Almanach Des Terres de France 2018.
Quatrième de couverture :
Roman pudique et bouleversant, Petite Mère est également l'occasion d'évoquer la reconstruction d'une région profondément marquée par la guerre de 1914-1918, autour de Verdun, ville symbolique.
A propos de l'auteure :
Henriette Bernier est née dans la Meuse, de parents paysans. Après avoir passé son diplôme à l'Ecole Normale de Bar-le-Duc, elle devient institutrice puis professeur de collège dans la Meuse, en coopération en Algérie et en Côte d'Ivoire, et enfin dans la Marne. Depuis qu'elle a pris sa retraite, elle se consacre entièrement à l'écriture et à ses trois passions : la nature, les chats et Léo Ferré.