JEANNE DES FALAISES - CATHERINE ECOLE-BOIVIN.
Commençons cette nouvelle semaine avec à nouveau un extrait tiré de l'Almanach des Terres de France - Jeanne des falaises de Catherine Ecole-Boivin. En cliquant ICI, vous découvrirez la quatrième de couverture (si vous ne l'avez pas déjà lu).
Pour moi, ici, tout a commencé. J'y suis née au monde, à sa solitude, à ses déceptions, à sa rage. Ce pays est devenu le mien. Baptisée des falaises, je les ai domestiquées. Il vaut mieux, car ici, les poissons, les fruits de mer, pour les ramener dans mon assiette, je dois aller les chercher par la terre, après plus de cent vingt mètres de dénivelé. Etrange aventure que de descendre les falaises. Je m'agrippe à l'air et aux fougères, observe au loin un vaporeux fouenet, sortant de la cheminée d'une maisonnette. Il me sert de guide par mauvais temps. Me tenir droite et faire mine d'être fière, tenir tête au désordre des pentes et des failles. Menaçantes comme l'enfer, accueillantes, quand on a réussi à les passer ; ces murailles, du nez de Jobourg ou de Voidries, on les descend comme on part à la mine. J'ai mes lourdes cordes et mes paniers sur le dos. Courbée, je m'engouffre dans les raidillons, sourire crispé, coeur et poumons en pagaille, je trébuche parfois.
C'est cela qu'est ma vie, ma liberté, à la manière de la chèvre de Monsieur Seguin, préférant la mort à la chaîne la retenant. Mes pas périlleux, pour des crustacés, quelques patelles entourées de varech, pour un peu d'eau iodée sur mes doigts.
La Hague, cette presqu'île à part, édifie mon destin. Paysanne, je lui ai obéi. Obéi autant qu'à ma mère qui a voulu que je reste son enfant, en contrepartie de la perte de l'homme de sa vie, mon père chéri.
Par amour de ma terre et de ma mère, à mon tour j'ai laissé l'homme que j'aimais m'abandonner.
Je vous souhaite une agréable semaine.